08/07/2008
JOURNAL LIBERATION
le samedi 5 juillet, l'article suivant est paru dans le journal "LIBERATION"
Le maire doit limiter les mères
Parce qu’une maternité a fermé, un élu bourguignon, en guise de protestation, a promulgué un arrêté interdisant de procréer.
Envoyé spécial à Sainte-Colombe-sur-Seine JACKY DURAND
QUOTIDIEN : samedi 5 juillet 2008
A Sainte-Colombe-sur-Seine (Côte-d’Or), 1 059 habitants, les femmes ont interdiction de procréer. Et celles qui sont enceintes doivent quitter le territoire communal depuis le 1er juillet. Ainsi en a décidé monsieur le maire dans un arrêté pour protester contre la fermeture de la maternité de Châtillon-sur-Seine, la ville voisine (6 500 habitants), située à 80 kilomètres au nord de Dijon, dans les courbes vertes et boisées de la Haute Côte-d’Or.
Officiellement, c’est le départ d’un gynécologue et d’un pédiatre qui a provoqué la suspension de l’activité de ce service de l’hôpital qui pratique 230 accouchements par an. Francis Castella, maire de Sainte-Colombe et vice-président de la communauté de communes du Châtillonnais, estime qu’en étant obligé d’aller accoucher à Semur-en-Auxois, «une heure de route» ou à Dijon, «une heure et demi de route», les mères mettent leur vie et celle de leur bébé en danger. Pour frapper encore un peu plus fort l’opinion, le maire a fait installer sur les routes qui mènent à Sainte-Colombe de drôles de panneaux d’interdiction représentant un profil de femme enceinte et des affiches avec le slogan «Attention désert médical, agir c’est vital». Dans une autre commune, Corinne Milési, maire de Villedieu (98 habitants) et aide-soignante à l’hôpital de Châtillon, a pris un arrêté comparable et se dit «prête à distribuer des préservatifs aux jeunes couples» aux frais de la municipalité.
Manifestation. Le 23 juin, au moins 3 500 personnes ont défilé à Châtillon-sur-Seine pour défendre le maintien de la maternité : «Rarement on a vu les habitants du pays châtillonnais se mobiliser aussi nombreux et avec autant de ferveur», constatait le quotidien local le Bien public. Le 9 juin, une centaine d’élus, maires, conseillers municipaux et généraux, toutes tendances politiques confondues et représentants les 95 communes du «pays châtillonnais» (24 000 habitants) ont manifesté devant l’agence régionale de l’hospitalisation (ARH) de Bourgogne pour protester contre la fermeture de la maternité au 1er juillet. Ils ont reçu le renfort du député (Nouveau Centre) et président du conseil général de Côte-d’Or François Sauvadet. «Je ne peux accepter l’idée qu’on démembre ainsi un hôpital comme celui de Châtillon-sur-Seine. On doit prendre en compte les spécificités de ce territoire rural», a-t-il déclaré. Pour Hubert Brigand, maire (UMP) de Châtillon-sur-Seine, «après la fermeture du tribunal d’instance, c’est un deuxième coup qui nous est asséné et celà sans la moindre concertation». L’élu affirme avoir multiplié les contacts afin de pourvoir les postes de médecin vacants à Châtillon. «On avait trouvé trois spécialistes qui étaient prêts à venir ici. J’ai envoyé des fax en ce sens à l’ARH et au ministère, à trois reprises. J’ai obtenu zéro réponse. Tout était joué d’avance.»
De son côté, le directeur de l’hôpital indiquait lundi que «faute de pédiatre», l’activité de la maternité était officiellement suspendue le 1er juillet. Un centre périnatal de proximité (CPP) va prendre le relais pour «garantir la continuité des soins et la prise en charge des femmes enceintes et des nouveaux-nés», assure l’ARH de Bourgogne, en assurant les consultations prénatales, les échographies, les surveillances des grossesses difficiles et les consultations des nouveaux-nés. Mais ce dispositif est un pis-aller, selon le maire de Châtillon-sur-Seine : «Rien ne remplacera le fait d’accoucher sur place. On peut enrober cette fermeture avec toute ce que l’on veut, les mamans devront faire une heure, une heure trente de route pour mettre au monde leurs enfants.» «On nous dit "Si on investit chez vous, on investira pas au CHU de Dijon, dit un élu du Chatillonais. On a l’impression que le rural compte moins que l’urbain, qu’il y a une volonté d’accélérer le désengagement de l’Etat sur nos territoires.»
Marc Frot, agriculteur, vice-président (Modem) du conseil général en charge de la ruralité, estime que le cas de Châtillon met en lumière les inégalités entre villes et campagnes en terme de politique d’aménagement du territoire : «Dans ma commune, on veut amener l’eau à 500 personnes. Sauf qu’il y a 22 kilomètres de tuyauterie et que ça coûterait 4,8 millions d’euros. L’autre jour, une élue dijonnaise m’a dit "Pour amener, l’eau à 500 personnes, j’ai besoin de 32 mètres de canalisations."»
Pour lui, le sort de la maternité pourrait préfigurer d’autres inquiétudes. Aujourd’hui, c’est l’hôpital, demain, ce sera le reste.» Marc Frot est d’autant plus inquiet que, «le vide appellant le vide», la suspension de la maternité met à mal les projets pour soutenir «l’attractivité» du Châtillonais : «Comment voulez-vous ainsi attirer les gens et retenir les familles ici ? Pourtant, nous avons dépensé trois millions d’euros pour favoriser les installations et on essaie de faire venir des PME.» Francis Castella prévoit aussi que les transferts par la route des parturientes risquent d’alourdir les finances publiques : «J’ai contacté Clamecy dans la Nièvre où la maternité a fermé. En deux mois, ils ont dépensé l’enveloppe censée couvrir une année de transferts ».
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